Par Isabelle Pénin , Coach coparentale à Montréal
*Deuxième article d'une série de 9 sur les biais cognitifs en coparentalité*
Le biais d'attribution, cette loupe déformante
Imaginez que vous arrivez dix minutes en retard pour récupérer vos enfants. Dans votre esprit, c'est clair : le trafic sur Décarie était infernal, il y avait des travaux imprévus sur Jean-Talon, bref, des circonstances totalement hors de votre contrôle. Maintenant, imaginez que c'est votre ex-conjoint qui arrive avec ce même retard. Étrangement, votre cerveau tire une conclusion bien différente : "Encore un manque de respect, toujours aussi peu organisé(e)..."
Bienvenue dans le monde fascinant du biais d'attribution, ce mécanisme qui nous pousse à expliquer différemment nos propres actions et celles des autres. Dans mon cabinet montréalais de coaching coparental, je vois quotidiennement comment ce biais peut transformer de simples malentendus en véritables conflits.

Comment fonctionne ce biais?
Le biais d'attribution n'est pas un défaut de fabrication de notre cerveau, mais plutôt une façon économique de traiter l'information. Lorsque nous analysons nos propres actions, nous avons accès à tout le contexte, à nos intentions, à nos contraintes. Nous savons que nous sommes généralement bien intentionnés et que nos erreurs sont souvent dues à des circonstances particulières.
En revanche, quand il s'agit d'interpréter les actions des autres, nous n'avons pas accès à toute cette richesse contextuelle. Notre cerveau fait alors des raccourcis et a tendance à attribuer leurs comportements à leur personnalité plutôt qu'aux circonstances. C'est ce qu'on appelle l'erreur fondamentale d'attribution, et elle prend une dimension particulière dans le contexte de la coparentalité.
Le biais d'attribution en action dans la coparentalité
Prenons l'exemple de Catherine et Vincent (noms fictifs), parents de deux jeunes enfants. Un soir, Catherine oublie d'envoyer le bulletin scolaire que Vincent attendait. Dans son esprit à elle, c'est simple : sa semaine a été extraordinairement chargée, avec un dégât d'eau dans son sous-sol et une présentation importante au bureau. Qui n'aurait pas oublié dans ces conditions?

Vincent, lui, ne voit pas ces circonstances. Il interprète cet oubli comme une preuve supplémentaire du désintérêt de Catherine pour la scolarité des enfants, voire comme une tentative délibérée de le tenir à l'écart. Même scénario inversé quand Vincent annule une activité prévue avec les enfants : Catherine y voit un manque d'engagement parental, alors que Vincent fait face à une urgence professionnelle légitime.
Ce qui rend ce biais particulièrement complexe en coparentalité, c'est qu'il s'appuie souvent sur une histoire commune chargée. Les anciennes dynamiques du couple viennent colorer nos interprétations, rendant encore plus difficile une lecture objective des situations.
L'impact sur les enfants
Dans mon travail de coach coparental, je constate régulièrement que ce biais affecte profondément les enfants. Quand nous attribuons systématiquement des intentions négatives à l'autre parent, nous créons un environnement où nos enfants se sentent forcés de prendre parti ou de devenir médiateurs. Ils captent nos interprétations négatives et peuvent développer une vision déformée de l'un ou l'autre parent.
J'ai récemment accompagné une famille où la fille de 10 ans avait commencé à "surprotéger" son père, sentant que sa mère lui attribuait toujours de mauvaises intentions. Elle passait son temps à expliquer et justifier les actions de son père, un rôle bien trop lourd pour ses jeunes épaules.
Vers une attribution plus équilibrée
Le chemin vers une coparentalité plus sereine passe par une prise de conscience de ce biais. Dans mes séances de coaching, j'invite les parents à pratiquer ce que j'appelle "l'attribution inversée". L'exercice consiste à imaginer systématiquement des explications situationnelles pour les actions de l'autre parent, comme nous le faisons naturellement pour nous-mêmes.
Un autre outil puissant est la pratique de la communication directe. Plutôt que de faire des suppositions sur les motivations de l'autre, pourquoi ne pas simplement demander? Bien sûr, cela demande un climat minimal de confiance, que nous construisons progressivement en séance.
J'encourage également les parents à développer ce que j'appelle "la présomption de bonne foi". Il s'agit de partir du principe que, sauf preuve du contraire, l'autre parent agit avec les meilleures intentions pour les enfants, même si ses méthodes diffèrent des nôtres.
Le rôle du coach coparental face au biais d'attribution
En tant que coach coparental, mon rôle est d'aider les parents à prendre du recul sur leurs interprétations automatiques. À travers des exercices pratiques et des mises en situation, nous travaillons à développer une vision plus nuancée des situations.

Une partie importante de mon travail consiste aussi à créer un espace sécuritaire où les parents peuvent exprimer leurs interprétations sans jugement, puis les examiner ensemble pour identifier les patterns d'attribution problématiques. C'est souvent dans ces moments de prise de conscience que les changements les plus significatifs s'opèrent.
En conclusion
Le biais d'attribution en coparentalité, c'est un peu comme porter des lunettes différentes pour nous regarder et pour regarder l'autre. Avec de la pratique et du soutien, il est possible d'ajuster ces lunettes pour voir la réalité de manière plus équilibrée.
La coparentalité est déjà un défi en soi. En prenant conscience de nos biais d'attribution, nous pouvons éviter d'ajouter des obstacles supplémentaires sur ce chemin. Après tout, notre objectif commun reste le même : offrir à nos enfants un environnement familial serein et équilibré, même s'il s'étend sur deux foyers.
*Dans notre prochain article, nous explorerons le biais de négativité, ce mécanisme qui nous fait accorder plus de poids aux expériences négatives qu'aux positives dans notre relation coparentale.*
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