Par Isabelle Pénin, Coach coparentale à Montréal
*Quatrième article d'une série de 9 sur les biais cognitifs en coparentalité*
Imaginez un projecteur de théâtre illuminant un acteur sur scène. La lumière centrale est si intense qu'elle crée un halo lumineux autour de lui, baignant tout ce qui l'entoure dans la même teinte. C'est exactement ainsi que fonctionne notre cerveau lorsqu'il évalue les compétences parentales de notre ex : une seule caractéristique marquante devient le projecteur qui teinte l'ensemble des situations.

Un raccourci mental aux origines profondes
Ce phénomène n'est pas le fruit du hasard. Notre cerveau, dans sa quête perpétuelle d'efficacité, cherche naturellement à créer des schémas cohérents. Lorsqu'il observe un trait de caractère ou un comportement marquant, il l'utilise comme une clé de lecture pour interpréter toutes les autres facettes de la personne. Cette tendance, probablement héritée de notre évolution où catégoriser rapidement les situations et les personnes était crucial pour notre survie, devient aujourd'hui un piège subtil dans nos relations coparentales.

Dans ma pratique à Montréal, j'observe quotidiennement les manifestations de ce biais. Une mère, impressionnée par l'organisation méticuleuse de son ex dans sa vie professionnelle, présume automatiquement qu'il impose un cadre rigide et inflexible aux enfants.

À l'inverse, un père, constatant que son ex gère son budget de manière décontractée, en déduit qu'elle doit être tout aussi souple avec les règles et les routines des enfants.
L'amplification après la séparation
La séparation crée un terreau particulièrement fertile pour l'effet de halo. Sans le quotidien partagé qui permettait d'observer les multiples facettes de l'autre parent, nous n'avons plus accès qu'à des aperçus fragmentés de sa réalité. Ces fragments deviennent alors des projecteurs surpuissants qui éclairent - ou assombrissent - toute notre perception.
L'histoire de Sophie et Martin (noms fictifs) illustre parfaitement ce phénomène. "Martin est tellement perfectionniste dans son travail d'ingénieur", partageait Sophie lors d'une séance, "qu'il doit certainement stresser les enfants avec les devoirs." Pourtant, lors de l'une de nos rencontres, Martin raconte comment se passe les temps d'étude : Ainsi il partage son plaisir de pratiquer une approche détendue et encourageante, sachant parfaitement adapter son niveau d'exigence selon le contexte.
Le piège des généralisations
Contrairement au biais de confirmation qui nous fait chercher des preuves pour valider nos croyances, l'effet de halo agit comme un filtre coloré à travers lequel nous interprétons toutes les actions de l'autre parent. Une seule observation positive ou négative devient la lentille à travers laquelle tout le reste est perçu. (Retrouvez ici l'article sur le biais de confirmation.)
Une approche professionnelle constructive
En tant que coach coparentale, j'utilise plusieurs concepts clés pour aider les parents à reconnaître et dépasser ce biais :
La "théorie des contextes" issue de la psychologie sociale nous rappelle qu'une même personne peut manifester des qualités très différentes selon les situations. Un parent peut être structuré au travail et spontané dans ses loisirs avec les enfants.
Le principe de "compartimentage positif" encourage à évaluer chaque domaine de compétence parentale de manière indépendante, comme autant de spots lumineux distincts plutôt qu'un seul projecteur qui colorerait tout.
Il m'arrive fréquemment de construire avec les parents une "grille de compétences parentales". Nous cartographions ensemble, objectivement les forces et les points d'amélioration de chaque parent dans différents aspects de la parentalité.

Vers une perception plus nuancée
La coparentalité efficace nécessite de reconnaître que chaque parent est une mosaïque complexe de forces et de points d'amélioration. Dépasser l'effet de halo, c'est accepter que l'autre parent puisse être à la fois très organisé dans certains domaines et plus souple dans d'autres, strict sur certains points et flexible sur d'autres.
*Dans notre prochain article, nous explorerons le biais d'ancrage et son influence sur notre capacité à percevoir les changements en situation de coparentalité.*
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