# 4 La quête invisible de reconnaissance parentale après la séparation
- questiondefamille
- 28 avr.
- 5 min de lecture
Par Isabelle Pénin - Coach coparentale Montréal
Il est profondément humain de vouloir être reconnu comme un "bon parent".
Lorsque la famille est unie, ce besoin reste souvent discret, porté par le quotidien et soutenu par le regard de l’autre parent.
Cependant, après une séparation, cette reconnaissance devient plus rare, plus fragile, et parfois plus urgente. Comme si, dans le tumulte de la rupture, il fallait prouver – à soi-même, aux autres, mais surtout à son enfant – que l’on reste un parent fiable, aimant, légitime.
Ce besoin, légitime en soi, peut pourtant se transformer en une attente invisible. L’enfant devient alors, sans le vouloir, un miroir émotionnel, chargé de valider ou de remettre en question les choix parentaux.
Sans s’en rendre compte, l’enfant pourrait occuper une place qui ne lui revient pas : celle du juge silencieux entre deux univers parentaux distincts.
Et c’est là que les risques commencent.
Reconnaissance parentale et blessure après séparation
La séparation ne rompt pas seulement une relation amoureuse : elle ébranle également l’identité parentale.
Lorsque le couple se défait, de nombreux parents se retrouvent face à leurs doutes :
Suis-je encore un bon parent alors que notre famille s’est disloquée ?
Mes choix éducatifs ont-ils autant de valeur sans le soutien de l’autre parent ?

Ce besoin de confirmation est naturel. Il s’inscrit dans ce que plusieurs auteurs ont décrit comme une quête de justice émotionnelle après une rupture (Socié).
Privés du soutien implicite d’une équipe parentale, certains parents recherchent un nouvel espace de reconnaissance. Souvent, cet espace est incarné par leur enfant.
Ainsi, presque sans s’en apercevoir, le regard de l’enfant devient central :
Est-il heureux avec moi ?
Pense-t-il que je fais "mieux" que l’autre parent ?
Reconnaît-il mes efforts, mon engagement, mes sacrifices ?
À ce moment-là, la frontière devient floue. Car l’enfant, grandissant dans deux foyers séparés, devient parfois sans le vouloir un témoin sensible, chargé d’évaluer, de valider, voire de départager.
La blessure d’estime parentale qui suit la séparation, lorsqu’elle reste invisible et non travaillée, cherche inconsciemment son apaisement... au risque de placer l’enfant dans un conflit de loyauté.
Quand l’enfant devient arbitre malgré lui
Dans ses travaux sur les structures familiales, Salvador Minuchin a mis en lumière combien, en situation de tension, les frontières générationnelles peuvent devenir perméables.
Quand les adultes ne parviennent plus à gérer seuls leur douleur ou leur besoin de reconnaissance, les enfants glissent insidieusement vers des rôles d’adultes émotionnels.
On le voit dans ces situations banales du quotidien :
Ce garçon de 8 ans qui, après un week-end chez son père, hésite à raconter qu’il a adoré l’activité spéciale qu’ils ont faite ensemble. Parce qu’il pressent, sans qu’on le lui dise, que sa mère pourrait en souffrir.
Cette adolescente de 13 ans qui sent qu'elle doit "choisir son camp" lorsque ses parents divergent sur les règles de sortie, et qui ajuste ses réponses selon le parent présent.
Ou encore ce jeune enfant qui demande : « Pourquoi toi tu ne fais pas comme papa ? », et qui devient malgré lui le reflet des attentes implicites.
Ces situations ne relèvent pas simplement de la normalité de l’opposition entre parents et enfants, celle qui fait partie du développement et de l'affirmation de soi. Dans une famille unie, un enfant peut contester une règle, explorer les limites, ou tester les interdits, sans être pris dans une guerre de validation entre deux figures parentales.
Après une séparation, le regard de l’enfant sur ses parents peut devenir un enjeu de reconnaissance. Son opinion, son affection, ses préférences deviennent des indicateurs implicites de "réussite parentale".
Et pour l’enfant, c’est un fardeau silencieux.
Les risques pour l’enfant
Lorsque l’enfant est placé, même subtilement, dans une dynamique d’évaluation entre ses parents, plusieurs risques invisibles apparaissent.

Le clivage affectif (Kelly et Johnston) est l’un d’eux. L’enfant, pour se protéger émotionnellement de cette tension, peut scinder ses loyautés : aimer l’un ici, l’autre là, et s’interdire d’être pleinement lui-même en présence de l’un ou de l’autre. Il développe alors des comportements adaptés à chaque foyer, au prix d’une fragmentation intérieure.
S’y ajoute la culpabilité, un sentiment souvent tu mais pesant. L’enfant peut ressentir qu’il "trahit" un parent s’il éprouve de la joie ou du bien-être chez l’autre. Cette loyauté invisible (Boszormenyi-Nagy) génère un conflit intérieur difficile à exprimer.
Enfin, la sur-responsabilisation émotionnelle guette l’enfant. En sentant qu’il doit ménager les sensibilités parentales, éviter les sujets qui fâchent, veiller à ne pas décevoir, il prend sur lui une charge émotionnelle d’adulte. Ce phénomène de parentification (Minuchin - Jurkovic) est connu pour ses effets délétères à long terme : anxiété, difficulté à poser ses propres limites, sur-adaptation aux besoins des autres.
Protéger l’enfant, dans ce contexte, ce n’est pas nier ses émotions ni l’empêcher d’avoir ses propres critiques ou jugements. C’est le libérer du poids de devoir évaluer, trancher, ou choisir.
Favoriser une coparentalité fonctionnelle
Pour que l’enfant ne devienne pas juge à son insu, il est essentiel d’aider les parents à identifier cette mécanique et à y mettre fin.
Cela commence par reconnaître que le besoin de validation est naturel, mais qu’il ne peut trouver sa réponse dans le regard de l’enfant. Les parents doivent être soutenus pour réaffirmer leur identité parentale par d’autres moyens : par leur propre confiance intérieure, par un accompagnement professionnel, ou par le soutien d’autres adultes ressources.
Réaffirmer la valeur des différences éducatives est également important : deux foyers peuvent avoir des styles différents (avec des valeurs éducatives communes) sans que l’un soit "meilleur" que l’autre. L’enfant n’a pas à juger ni à valider ces différences ; il doit pouvoir s’y adapter en toute sécurité, sans être pris en otage émotionnel.
Encourager les parents à valoriser indirectement l’autre parent aux yeux de l’enfant, même en cas de désaccords, est aussi un levier puissant, qui nécessite un parfois un long travail sur les ressorts de la communication coparentale. Cela permet à l’enfant de maintenir une image positive des deux repères, condition essentielle pour sa stabilité émotionnelle.
Conclusion
Après une séparation, la tentation est forte de chercher dans le regard de son enfant la confirmation que l’on reste un bon parent. Mais cette quête, lorsqu’elle devient invisible et insidieuse, place l’enfant dans un rôle impossible : celui d’un juge émotionnel, tiraillé entre deux loyautés légitimes.
Notre rôle, en tant que professionnels, est de ramener l’enfant à sa juste place : celle d’un enfant qui a le droit d’aimer librement ses deux parents, sans devoir choisir, trancher ou arbitrer. Accompagner la coparentalité, c’est aussi protéger l’enfant du poids des blessures adultes, et rappeler que grandir signifie être aimé sans condition, sans enjeu, sans mission cachée.

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