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Et si la rigidité coparentale était une stratégie de conservation de la structure parentale

Par Isabelle Pénin Coach coparentale - Montréal

Introduction : Une question qui déplace le regard

Dans le champ de la coparentalité post-séparation, la rigidité est généralement perçue comme un frein : frein à la souplesse, frein à la coopération, frein au bien-être de l’enfant. Pourtant, une autre lecture est possible. Et si cette rigidité était en réalité une tentative, parfois maladroite, mais stratégiquement cohérente, de conserver une structure parentale là où le couple s’est effondré ? Cette hypothèse mérite d’être examinée, non pas pour justifier les blocages, mais pour mieux en comprendre les racines, les fonctions et les possibles évolutions.


1. Quand la structure conjugale se dissout : un vide à combler

La fin d’une relation conjugale n’entraîne pas uniquement la rupture d’un lien amoureux. Elle entraîne aussi la perte d’un cadre implicite dans lequel se déployait la parentalité. Les décisions prises à deux, les ajustements informels, les routines partagées étaient les piliers invisibles du système familial. Avec la séparation, ce socle s’efface.

Pour de nombreux parents, cette vacance structurelle est insupportable. Dans l’urgence de reconstruire un cadre, certains mettent en place une structure de remplacement : des règles strictes, un emploi du temps rigide, des limites infranchissables. Cette structure n’est pas dénuée de sens : elle sert à reprendre la main dans un contexte perçu comme chaotique.

Irène Théry a montré comment la dissociation des fonctions conjugales et parentales, si elle permet une réorganisation des rôles, peut aussi générer un sentiment de flottement, notamment lorsque les outils symboliques pour penser cette transition font défaut. La rigidité vient alors faire fonction de boussole.


2. Rigidité et maintien de la structure : une stratégie adaptative ?

La rigidité devient, dans ce contexte, une tentative de sauvegarde du système parental. Elle peut être vue comme une stratégie de survie : poser des bornes pour empêcher l’effondrement. En cela, elle n’est pas qu’une défense : elle est aussi une création. Elle produit du cadre là où il n’y en a plus.

Salvador Minuchin, dans son travail sur les familles en crise, montrait que les systèmes familiaux sous tension renforcent souvent leurs frontières internes pour tenter de préserver leur cohérence. La rigidité, dans ce modèle, est une réaction à l’instabilité perçue, pas une pathologie.

Mais cette stratégie devient problématique lorsqu’elle n’est pas partagée, c’est-à-dire lorsqu’elle ne repose pas sur une construction commune mais sur une logique unilatérale. Elle remplace alors le lien coopératif par un cadre figé, voire par une injonction silencieuse : "je tiens bon, avec ou sans toi".


3. Quand la rigidité devient le langage d’un système disjoint

Dans de nombreuses situations, la rigidité n’est pas seulement une façon de s’organiser : c’est une manière de signifier à l’autre parent qu’il n’y a plus d’espace de négociation. Elle dit : « Je ne te fais pas confiance ». « Je me protège ». « Je ne veux plus de contact affectif ».

Vittorio Cigoli parle de la coparentalité comme d’une "alliance parentale" qui suppose un lieu psychique partagé, au-delà de la fin du couple. Quand ce lieu fait défaut, il ne reste souvent que des murs. Et la rigidité en est le principal matériau.


4. Légitime, mais jusqu’à quand ?

Reconnaître la fonction adaptative de la rigidité ne signifie pas qu’elle doive être entretenue. Car elle produit aussi des effets systémiques négatifs : enfermement relationnel, stérilisation des échanges, tensions déplacées sur l’enfant. Elle devient alors une structure d’isolement, et non de soutien.

L’enfant, dans ces contextes, perçoit une forme de crispation constante. Il apprend à ne pas faire de vagues, à respecter un protocole rigide, parfois au prix de son autonomie ou de son expression émotionnelle. La structure, censée le contenir, devient un espace de contrainte.


5. Le rôle du professionnel : écouter la structure, pas corriger la forme

Pour les professionnels, la question n’est pas de "rendre les parents plus souples", mais de comprendre ce que cette rigidité vient tenir. Elle est souvent l’indice d’un désalignement profond : dans les temporalités, dans les niveaux de confiance, dans la manière d’exercer le pouvoir parental.

Le travail consiste alors à accompagner les parents vers une structure co-construite, et non imposée. Cela suppose de réhabiliter l’idée même de cadre, mais en l’ancrant dans une logique de responsabilité partagée.


Conclusion : la rigidité, un signal à décoder

Et si, au lieu de lutter contre la rigidité coparentale, on s’attachait à en comprendre l’origine systémique ? Elle ne dit pas seulement : "je suis ferme". Elle dit : "je ne sais plus comment tenir la structure avec toi". C’est cette question-là que le professionnel doit entendre.

En déplaçant le regard, on ouvre un espace pour que cette rigidité cesse d’être une forteresse et redevienne un socle. Non pas pour assouplir à tout prix, mais pour permettre à nouveau une structure habitée par deux parents, différents mais engagés, au service de leur enfant.




 
 
 

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Crédit photos Isabelle Pénin

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