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#6 Le biais rétrospectif en coparentalité : Quand le présent réécrit le passé

Photo du rédacteur: questiondefamillequestiondefamille

Par Isabelle Pénin, Coach coparentale à Montréal

*Sixième article d'une série de 9 sur les biais cognitifs en coparentalité*




Vous est-il déjà arrivé de regarder un match des Canadiens en rediffusion alors que vous connaissiez déjà le score final ? Ce qui aurait semblé être une succession d'actions imprévisibles en direct devient soudain une suite logique d'événements où chaque décision paraît porter en elle le résultat final. Cette illusion de prévisibilité illustre parfaitement le biais rétrospectif : notre tendance à reconstruire le passé pour qu'il s'aligne logiquement avec ce que nous savons maintenant.


Le mécanisme du "c'était écrit"


Le biais rétrospectif n'est pas une simple déformation de la mémoire. C'est un processus sophistiqué par lequel notre cerveau tisse des liens de causalité là où il n'y avait que des coïncidences, transforme des événements aléatoires en signes précurseurs, et réécrit nos perceptions passées pour les accorder avec notre réalité présente.


Cette reconstruction est si naturelle qu'elle s'opère à notre insu. Par exemple, après une séparation difficile, un parent peut soudainement "réaliser" que les désaccords sur le choix de l'école ou la pratique d'un sport étaient des "signes évidents" d'une incompatibilité fondamentale dans la vision de l'éducation, alors que ces discussions n'avaient rien d'extraordinaire dans le quotidien d'un couple.


Entre réécriture et enchainement logique


Si le biais rétrospectif nous pousse à réécrire le passé en fonction de notre présent, il ne faut pas pour autant nier que certains événements découlent d’un enchaînement logique réel. La différence tient à la perception que nous en avions au moment où ils se produisaient : un enchaînement logique repose sur des indices visibles à l’époque, tandis qu’une réécriture biaisée attribue après coup une signification déterminante à des faits qui, sur le moment, ne semblaient pas particulièrement révélateurs. Prendre du recul sur ces mécanismes permet d’éviter de figer l’autre parent dans un rôle réducteur et d’apaiser la coparentalité.


La spirale de la réinterprétation


Dans ma pratique à Montréal, j'observe comment ce biais peut transformer radicalement la perception de l'histoire commune. Un couple consulte après leur séparation : ce qui était autrefois perçu comme de la spontanéité devient de l'irresponsabilité, ce qui était vu comme de la prudence devient de la rigidité. Le plus troublant est que ces nouvelles interprétations semblent "évidentes" à celui qui les formule.



L'amplification post-séparation et ses dérives


La période suivant la séparation est particulièrement propice au biais rétrospectif, qui peut alors prendre des formes particulièrement problématiques :


La dérive paranoïaque : la réinterprétation constante du passé peut conduire à prêter des intentions cachées à toutes les actions passées de l'autre parent. Un changement d'horaire de travail il y a deux ans devient rétrospectivement une "stratégie délibérée" pour passer moins de temps en famille.


L'obstacle au deuil : en réécrivant l'histoire pour que tout devienne "prévisible", nous nous privons de la possibilité d'accepter que certaines choses échappent à notre contrôle. Cette illusion de prévisibilité peut significativement ralentir le processus de deuil du couple et l'apaisement post-séparation.


Le renforcement des autres biais : comme nous l'avons vu dans l'article précédent sur le biais d'ancrage, la conviction que "tout était prévisible" peut nous faire ignorer les véritables évolutions de l'autre parent, nous maintenant ancrés dans une vision figée qui ne correspond plus à la réalité actuelle.




Les impacts sur la coparentalité


Ce biais affecte profondément la dynamique coparentale de plusieurs manières :


  • La réinterprétation des décisions communes : des choix autrefois partagés deviennent soudainement des "erreurs évidentes" que l'autre aurait imposées.


  • La reconstruction des motivations : chaque action passée se voit attribuer des intentions cachées, créant un climat de méfiance qui complique la coparentalité présente.


  • La perte de confiance en soi : "Si j'ai mal interprété les signes la première fois, comment puis-je faire confiance à mon jugement maintenant ?"


Une approche professionnelle


En tant que coach coparentale, j'utilise le "tableau des règlements de compte" issu de la médiation transformative : nous explorons un même événement selon trois points de vue - celui du moment où il s'est produit, celui de la période qui a suivi, et celui d'aujourd'hui. Cet exercice révèle souvent comment notre interprétation s'est transformée avec le temps et les nouveaux éléments en notre possession.


Vers une coparentalité lucide


Comprendre le biais rétrospectif, c'est accepter que le passé était aussi incertain que notre présent. C'est reconnaître que la séparation n'était pas "écrite", que les difficultés actuelles n'étaient pas "évidentes", et surtout, que cette réalité n'enlève rien à la légitimité de nos choix présents.


Cette prise de conscience est essentielle pour construire une coparentalité efficace. Elle nous permet de nous libérer du poids d'un passé constamment réinterprété pour nous concentrer sur ce qui compte vraiment : créer un environnement sain pour nos enfants, ici et maintenant.


*Dans notre prochain article, nous explorerons le biais de disponibilité et son influence sur nos jugements en situation de coparentalité.*


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Crédit photos Isabelle Pénin

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