Les petites phrases qui en disent long : que cache la dévalorisation subtile du coparent ?
- questiondefamille
- il y a 7 jours
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« On ne va pas compter sur ton père pour ça. »« Ta mère oublie toujours ce genre de choses. »Ou parfois, rien qu’un soupir, un haussement d’épaules, un regard qui en dit long.
Dans la plupart des situations que je rencontre en coaching coparental, ces petites phrases sont là. Elles ne sont pas insultantes. Elles ne sont pas directement agressives. Elles passent presque inaperçues, et pourtant, elles marquent. Elles désignent. Elles installent, lentement, un climat.
Ce que je veux interroger ici, ce n’est pas tant la phrase elle-même que ce qu’elle traduit. Parce que cette manière subtilement persistante de pointer les failles de l’autre parent n’est jamais tout à fait anodine. Elle vient d’un endroit précis, souvent complexe. Et elle s’adresse parfois à l’autre, parfois à soi-même, parfois à l’enfant. Elle joue sur plusieurs tableaux à la fois.
Plutôt que de la juger ou de chercher à la faire disparaître trop vite, il me semble essentiel de prendre le temps de comprendre ce qu’elle active, ce qu’elle protège, ce qu’elle soulage, ou ce qu’elle empêche de réparer. C’est cette cartographie que je propose ici : un camaïeu de ressorts invisibles qui alimentent ce réflexe de dévalorisation subtile.

1. Fixer l’autre dans le rôle qu’il a eu dans la conjugalité
Dans bien des cas, la dévalorisation discrète prend racine dans une image figée du parent qu’on a quitté. Une image construite dans la durée, souvent douloureusement, et qui a justifié — ou accompagné — la décision de séparation. Une fois la séparation actée, ce portrait conjugal continue de servir de filtre. On regarde l’autre non pas tel qu’il est devenu, mais tel qu’il a été : désengagé, maladroit, imprévisible, envahissant, distant… Et chaque petit oubli, chaque ton déplacé, chaque mauvaise réponse vient renforcer cette lecture.
Ce réflexe agit parfois à notre insu. On continue à penser : « évidemment qu’il a oublié », « évidemment qu’elle dramatise ». Et l’enfant, témoin de cette posture, apprend à décoder qui est « fiable » et qui ne l’est pas. La coparentalité devient alors l’extension d’un récit conjugal non actualisé, dans lequel l’autre n’a plus vraiment la possibilité de changer de place.
2. Se rassurer en tenant le fil d’une histoire cohérente
Reconnaître que l’autre a changé — s’il a changé — peut parfois provoquer une dissonance intérieure. S’il devient aujourd’hui un parent attentif, organisé, impliqué… alors pourquoi ne l’a-t-il pas été avant ? Pourquoi est-ce moi qui ai porté, encaissé, décidé de rompre ?Pour ne pas vaciller, pour ne pas rouvrir ce doute, on garde l’ancien scénario actif.
Et dans ce scénario, l’autre continue d’être pointé du doigt. Pas frontalement. Mais avec des phrases du type : « je m’en occupe, comme d’habitude », « je te préviens, parce que sinon… ». Ces remarques s’adressent parfois à soi-même (dans une conversation mentale), parfois à l’enfant, parfois à l’autre parent devant l’enfant. Elles servent à rendre notre propre histoire émotionnelle plus stable, plus lisible. Elles protègent du vertige du “et si”.
3. Maintenir une forme de rémunération identitaire
Être celui ou celle qui tient le cap, qui anticipe, qui veille sur les détails… cela crée une forme de statut symbolique dans la parentalité. Un statut auquel on s’attache. Mais ce statut se construit parfois en creux de l’autre : je suis fiable parce qu’il/elle ne l’est pas. Alors, même quand l’autre fait des efforts, ou progresse, on continue de souligner ce qui ne va pas, subtilement, pour maintenir cette hiérarchie implicite.
Ces remarques peuvent surgir devant l’enfant (« c’est moi qui gère les devoirs, hein… ») ou devant des tiers (« j’ai appris à ne plus trop espérer »). Elles rassurent : je suis le parent solide. Mais elles enferment aussi : l’autre reste le parent défaillant.
4. Protéger l’enfant... à sa manière
Certains parents sont sincèrement convaincus qu’ils protègent leur enfant en lui signalant les faiblesses de l’autre. Pas de manière violente, mais comme une forme d’anticipation : « Tu sais, ton père risque d’oublier, alors prends ton sac toi-même ».L’intention est protectrice. Mais la conséquence est un transfert de responsabilité sur l’enfant. Il devient celui qui doit gérer l’oubli potentiel, compenser l’insuffisance supposée.
Et même si ces phrases ne visent pas à blesser l’autre parent, elles laissent une trace : elles installent chez l’enfant une méfiance feutrée, une vigilance triste.
5. Faire payer, sans s’en rendre compte, ce qui n’a pas été réparé
Il arrive que la séparation n’ait pas permis une vraie mise à plat des ressentis. Les injustices perçues, les déséquilibres portés, les blessures laissées sans reconnaissance… tout cela reste actif.
Alors, la critique subtile devient un canal de régulation émotionnelle. Pas pour faire mal, mais pour que quelque chose se dise enfin, même indirectement .Ce sont ces phrases lancées devant l’enfant ou les proches : « il fallait s’y attendre », « je préfère gérer seule ».Elles visent moins à attaquer qu’à libérer ce qui n’a jamais été entendu.
6. Empêcher que l’enfant idéalise l’autre parent
Quand un enfant revient enthousiaste de chez l’autre parent, certains parents peuvent ressentir un mélange d’inquiétude, de jalousie, de décalage. Ils peuvent alors glisser une remarque qui vient corriger la perception de l’enfant, par peur qu’il oublie qui a vraiment été là.
« Tu sais, c’est moi qui ai toujours géré les rendez-vous médicaux. »« Il t’achète ça, mais il ne paie pas la pension en temps. »
Ce sont des phrases qui rétablissent un équilibre symbolique, mais qui installent l’enfant dans un conflit de loyauté silencieux. Et surtout, elles l’empêchent d’avoir son propre regard sur chacun de ses parents.
7. Rester loyal à la douleur passée
Chez certains parents, reconnaître que l’autre a changé, qu’il est parfois un bon parent, c’est trahir la douleur vécue dans le passé conjugal. Comme si admettre l’amélioration actuelle, c’était invalider la souffrance d’avant. Alors, pour rester fidèle à cette part blessée de soi, on garde l’autre parent dans l’image figée de celui qui n’a pas su, pas pu, pas voulu.
Les petites phrases deviennent alors des rappels discrets de ce passé là : « je suis contente qu’il fasse ça maintenant… mais bon, il a fallu attendre ».Elles servent à dire : ce que j’ai vécu, ce que j’ai traversé, reste vrai.
Conclusion – Notre posture en coaching coparental
En tant que coach coparental, je ne cherche pas à éliminer ces remarques ou à faire taire ces petites phrases. Je m’efforce d’entendre ce qu’elles portent : un besoin, un inconfort, une peur, une tentative de réparation, parfois un appel à la reconnaissance.
La dévalorisation subtile n’a pas toujours une intention toxique. Mais elle a toujours un impact : sur l’autre, sur l’enfant, sur le lien qui se construit après la séparation. C’est pourquoi il est si important de prendre le temps de la décrypter avant de vouloir y répondre.
Elle peut être le symptôme d’un déséquilibre encore actif, ou le signal qu’un travail reste à faire — non pas pour blanchir l’autre parent, mais pour permettre à chacun de prendre sa place avec justesse, dans le présent.

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