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Quand le silence prend toute la place : que vient-il remplacer dans la coparentalité ?


Un calme trompeur


Deux parents qui ne s’adressent plus la parole, qui passent par des carnets, des textos secs ou des applications de gestion familiale. Plus de cris, plus de conflits apparents. Juste une organisation logistique réduite au minimum vital. Vu de loin, on pourrait croire que la tempête est passée. Mais ce silence, si lisse en surface, n’est pas vide. Il remplace quelque chose. Il contient du non-dit, du pouvoir, des stratégies, parfois de la douleur.

Et si, plutôt que de le traiter comme un simple déficit de communication, on considérait ce silence comme une forme de discours à part entière, un langage relationnel à décoder ?


1. Ce que le silence remplace : une relation trop fragile pour le dialogue


Dans certaines coparentalités, la parole est devenue trop chargée de risques. Elle déclenche la méfiance, la contre-attaque, l’angoisse d’être mal compris ou utilisé. Alors on se tait. Ou plutôt, on installe un système de communication réduite qui semble fonctionner... mais qui étouffe tout ce qui dépasse de l’agenda scolaire ou des horaires de transfert.

Ce silence n’est pas une absence de lien. C’est un lien figé, verrouillé. Il remplace un échange devenu impossible. Il prend la place d’une coopération qu’on ne sait plus imaginer.

Mais il remplace aussi autre chose : une structure familiale effondrée, que chacun tente de recomposer en solo. Quand la coopération n’a plus de socle, le silence devient un pilier de fortune. On ne peut plus construire ensemble, alors on gèle la relation.

Paul Watzlawick nous le rappelait : on ne peut pas ne pas communiquer. Le silence, lui aussi, est une adresse. Il dit : "je me méfie", "je me protège", ou encore : "je n’attends plus rien de toi".


2. Une stratégie de repli pour éviter l’effondrement


Dans bien des cas, le silence agit comme une prothèse relationnelle : il vient tenir un cadre minimal, sans affect, sans échanges, sans prises de risque. Il devient un rituel de non-interaction, parfois même validé par l’entourage ou par les jugements. On en vient à considérer qu’“au moins, ils ne se disputent plus”.

Mais cette paix apparente est souvent le masque d’un désalignement profond. Les deux parents n’évoluent plus sur les mêmes temporalités (l’un veut tourner la page, l’autre rumine encore), ni sur les mêmes seuils de confiance. L’un cherche à reconstruire une logique parentale partagée, pendant que l’autre refuse tout échange.

Le silence devient alors le reflet d’un système disjoint : chacun fonctionne dans son couloir, sans coordination, sans dialogue, sans reconnaissance de l’autre.

Et plus ce fonctionnement dure, plus il devient institutionnalisé : carnets de suivi, applications, horaires stricts. Le silence s’organise. Il devient règle implicite, parfois même condition de stabilité.



3. Garder le silence, garder le pouvoir ?


Dans certaines situations, le silence est aussi une stratégie de contrôle. Ne pas transmettre une information sur la santé de l’enfant, sur une difficulté scolaire ou une décision importante, c’est conserver un ascendant. Celui qui sait détient le pouvoir. Celui qui ne sait pas prend le risque de se tromper, d’être mis en défaut, voire disqualifié.

Le silence devient alors un instrument de dépossession de l’autre parent. On le maintient à distance, on le prive d’une partie de sa capacité d’agir. Et paradoxalement, on lui demande d’assumer son rôle, tout en limitant ses marges de manœuvre.

Cette dynamique n’est pas toujours consciente. Mais elle s’observe dans les micro-détails du quotidien : l’absence d’info sur un rendez-vous, une décision prise unilatéralement, un refus de réponse aux messages.

C’est là que le silence cesse d’être une protection, et devient une arme.


4. Et l’enfant dans tout ça ? Naviguer entre deux parentés muettes


Quand les parents ne se parlent plus, c’est souvent l’enfant qui devient le vecteur silencieux du lien. Il est questionné, scruté, ou mis en position de transmettre. Parfois, il apprend à se taire lui aussi, à éviter de dire ce qu’il a vécu chez l’autre, pour ne pas déclencher de réaction. Il se conforme à ce qu’il croit être attendu.

Ce silence partagé l’enferme dans une zone grise émotionnelle, où il ne sait plus ce qu’il peut exprimer, à qui, et avec quelles conséquences. Il finit par auto-censurer ses souvenirs, ses ressentis, ses attachements.

Roland Coutanceau a longuement décrit ces situations de conflits de loyauté larvés, où le mutisme parental transforme l’enfant en tampon, en messager masqué, ou en diplomate miniature. Même quand tout paraît calme.


5. Le rôle du professionnel : entendre ce que le silence protège


Dans l’accompagnement, le silence ne doit pas être vu comme une absence de matière. Il est plein de sens, parfois trop lourd pour être dit. Le rôle du coach coparental n’est pas de “faire parler” à tout prix. C’est d’écouter ce que ce silence maintient en place :

  • une peur de l’affrontement,

  • une volonté d’effacement de l’autre,

  • un équilibre fragile qu’on craint de voir se briser,

  • ou un mode d’organisation devenu confortable… mais stérile.

Le professionnel peut aider à mettre en lumière la fonction du silence, à questionner ses effets sur l’enfant, et à proposer des points de contact sécurisés, limités, mais suffisants pour que la parentalité reste partagée.

Jeffrey Zimmerman et Elisabeth Thayer ont bien décrit ces coparentalités distantes mais fonctionnelles, où l’accompagnement ne vise pas à relancer le lien, mais à en maintenir un minimum structurant, au bénéfice de l’enfant.





Conclusion : Le silence n’est pas vide. Il est structuré.


Dans la coparentalité, le silence n’est jamais neutre. Il peut être protection, stratégie, repli ou contrôle. Mais il remplace toujours quelque chose : le dialogue, le lien, la reconnaissance mutuelle.

En l’écoutant autrement, on peut commencer à le transformer. Non pour rétablir une entente idéale, mais pour retrouver un espace partagé, même restreint, même discret, où l’enfant peut sentir que ses deux parents agissent encore, un peu, ensemble.

Parce qu’à force de tout remplacer, le silence finit par faire disparaître ce qui compte : la relation.




 
 
 

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2024 crée par Isabelle Pénin Cabinet Esprit de Famille avec WIX.com       

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Crédit photos Isabelle Pénin

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