Quand les mots ne suffisent plus : surinterpréter les micro-signes en coparentalité
- questiondefamille
- il y a 4 jours
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Dans les échanges écrits entre parents séparés, les malentendus naissent rarement du contenu explicite du message. C’est plutôt autour des marges que la communication se charge : une ponctuation, un emoji, une formule absente, un délai de réponse inhabituel… Et dans ces détails, parfois infimes, se loge une interprétation — ou une surinterprétation.
Dans les contextes de coparentalité tendue, cette lecture périphérique devient le principal canal par lequel l'autre est perçu. Et ce canal est instable, incertain, souvent piégé par des projections. C’est le climat relationnel, bien plus que la phrase en elle-même, qui détermine ce que l’on croit lire dans un message écrit.

Une forme appauvrie, une attention déplacée
Dans les échanges écrits entre coparents, le langage s’est réduit à l’essentiel. Les messages sont courts, directs, souvent dépourvus de formules relationnelles. Ce style épuré — largement influencé par les habitudes numériques issues des messageries et réseaux sociaux — tend à éliminer ce qui autrefois rendait les échanges plus nuancés : transitions, tournures idiomatiques, subtilités syntaxiques.
Ce qu’on perd en mots, on le transfère ailleurs. À défaut d’un phrasé explicite, ce sont des éléments périphériques qui deviennent porteurs de sens : ponctuation, emojis, majuscules, rythme d’envoi, délai de réponse. Ces micro-signes, parfois discrets, deviennent les nouveaux vecteurs de tonalité relationnelle.
Le sociologue Erving Goffman, dans ses travaux sur les interactions sociales, distingue les signes « donnés » — que l’on contrôle — et les signes « émis sans intention » — souvent involontaires mais tout aussi révélateurs. Dans les communications écrites entre coparents, les signes « donnés » sont limités par la forme du canal. Alors les signes secondaires prennent toute la place, et ce sont eux qui servent à reconstruire l’image de la relation.
Dans cette configuration, la lecture du message repose largement sur ce que le destinataire projette. La théorie de la pertinence, formulée par Dan Sperber et Deirdre Wilson, aide à comprendre ce mécanisme : nous cherchons à tirer le maximum de sens avec un minimum d’effort. Mais plus le message est elliptique — ce qui est souvent le cas — plus il demande au destinataire de mobiliser son propre cadre mental pour en comprendre l’intention. Et si ce cadre est teinté de tensions ou de méfiance, la moindre virgule peut devenir source de soupçon. Moins on dit, plus l’autre suppose. Et plus la relation est tendue, plus il suppose mal.
Un terrain d’interprétation guidé par le climat relationnel
L’interprétation que chacun fait d’un message ne se joue pas seulement sur les mots. Elle est orientée, souvent sans qu’on en ait conscience, par la qualité de la relation au moment de l’échange. Lorsque la confiance est altérée, la lecture devient défensive : on n’attend plus un message, on redoute une attaque. On scrute ce qui n’est pas dit autant, voire plus, que ce qui l’est.
C’est précisément ce que met en lumière l’école de Palo Alto, à travers les travaux de Paul Watzlawick sur les fondements de la communication humaine. Trois de ses axiomes sont particulièrement utiles ici :
Toute communication a deux niveaux : le contenu (ce qui est dit) et la relation (ce que cela dit du lien entre les personnes). Dans les échanges coparentaux, c’est souvent le niveau relationnel — plus implicite — qui prend le dessus.
Il est impossible de ne pas communiquer : même un silence, un délai, une réponse laconique communiquent quelque chose. L’évitement ou l’économie de mots sont déjà des messages.
Enfin, chacun interprète la dynamique de l’échange à partir de sa propre ponctuation mentale, c’est-à-dire de sa manière de situer où commence le malentendu. Dans une relation abîmée, on perçoit souvent que l’autre est à l’origine du conflit, et cette perception colore la lecture de chaque message.
Ainsi, l’écrit, qui semble à première vue un outil de neutralité ou d’apaisement, devient paradoxalement le lieu de projections renforcées. La simplicité apparente du message ne protège pas de la complexité émotionnelle du lien.
Jeu de variations : à vous d’en faire la lecture
Voici quelques variantes plausibles d’un échange écrit entre deux coparents. Chaque message est associé à une réponse. Aucune interprétation ne vous est proposée ici : chacun les lira selon le climat qu’il imagine entre ces deux personnes.
Message 1 Bonjour, pourrais-tu aller récupérer Léo à 18 heures ?
Réponse Oui.
Message 2 Pourrais-tu aller récupérer Léo à 18 heures ???
Réponse Évidemment !
Message 3 Pourrais-tu récupérer Léo ? À 18 heures.*Merci.
Réponse Oui, comme d’habitude…
Message 4 Serait-il possible, s’il te plaît, de récupérer Léo à 18 heures ? Merci…
Réponse :


Quand la suspicion redéfinit le message
Dans les faits, toutes ces formulations ont le même objectif : transmettre une information logistique. Mais dans un climat de confiance fragile ou de conflit latent, elles ne sont pas perçues de la même manière. La suspicion vient brouiller la réception. Elle pousse à imaginer que l’autre tente de nous dire quelque chose sans le dire — et que ce quelque chose est une attaque ou un reproche. La lecture du message devient ainsi un test relationnel permanent.
Le biais de confirmation, bien connu en psychologie cognitive, amplifie ce phénomène. Il conduit chacun à repérer dans le message ce qui confirme ses attentes négatives. Ainsi, une phrase parfaitement neutre peut être lue comme méprisante, ironique ou provocatrice, si le récepteur est déjà en position de méfiance. L’écrit devient alors l’espace privilégié où se rejoue la défiance, où les non-dits prennent le pas sur le dit, et où la lecture prend le dessus sur l’intention.
Ce que le coach coparental travaille à cet endroit précis
Le coach coparental n’a pas pour mission d’explorer les blessures anciennes ou les racines émotionnelles profondes du conflit — ce n’est pas son cadre. Mais il travaille avec ce qui est là, c’est-à-dire avec les effets visibles du malaise relationnel, notamment dans la communication.
Il peut s’appuyer sur les surinterprétations pour ouvrir un espace d’analyse :
Qu’est-ce qui est projeté dans ce message ?
Quelle posture relationnelle est assignée à l’autre ?
Qu’est-ce que cela raconte de la dynamique actuelle ?
Ce travail permet de recontextualiser les lectures excessives, de désamorcer certaines projections et d’ouvrir des pistes vers une communication plus lisible, plus sobre, plus fonctionnelle.
À l’inverse, le coach peut également proposer d’expérimenter des formulations alternatives, d’élaborer des messages ensemble, ou d’établir des balises d’écriture partagées — non pour lisser les échanges, mais pour réduire les zones de flottement interprétatif.
Conclusion : la surinterprétation comme indicateur relationnel
La surinterprétation n’est pas une erreur. C’est un indicateur. Un symptôme d’un contexte où l’on ne peut plus faire confiance à la lettre du message, parce que le lien entre les personnes n’offre plus les repères nécessaires à une lecture apaisée.
Ce n’est pas la ponctuation qui est menaçante. Ce n’est pas l’emoji qui est sarcastique. C’est le climat entre les deux parents qui donne à chaque détail une charge particulière.
En ce sens, la surinterprétation est à la fois un signal d’alerte et un levier de travail. Elle permet de mettre au jour ce qui entrave la communication, et de travailler à ce que le message puisse à nouveau circuler sans être réécrit par la méfiance.

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